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d’artistes contemporains
Marie-Dominique
Kessler
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Monotype 2005 »
M-D K – Quand je me promène, que je regarde
un tronc d’arbre, je m’intéresse d’abord à la structure de l’écorce. Je
retrouve ce processus d’exploration dans le travail avec la matière. J’utilise
de l’encre de taille douce, qui est une encre de gravure. C’est une encre très
tendre, dense, d’un noir profond, intense.
J’utilise du papier de calligraphie
japonais qui absorbe très bien l’encre. J’expérimente la température,
l’épaisseur de la couche d’encre, la pression du papier. La technique est celle
du monotype, appelée ainsi parce qu’il en résulte un seul exemplaire. J’encre
une plaque de verre et puis je dépose très délicatement une feuille de papier
sur le verre encré et je dessine sur l’envers du papier, puis je le retourne.
Le résultat aléatoire est souvent surprenant, parfois décevant. Quelle partie
de l’encre le papier va-t-il absorber ? La qualité de l’encre fait
la densité du noir mais c’est le dessin qui va déterminer la facture du
monotype.
monotype sur
papier calligraphie japon, 6 x (35x136)cm, 2005
photo
: Beatriz Carneiro
Marie-Dominique Kessler
installation,
monotype sur papier calligraphie japon, 15 x (33x33)cm, 2005
photo
: Beatriz Carneiro
*******
Conversation
Marie-Dominique
Kessler – Le plus important, dans mes dessins, c’est le processus. Un processus
d’exploration de l’ordinaire, du quotidien.
Dans ce
travail, le quotidien : les répétitions de moments, de situations.
L’ordinaire :
les structures organiques que le regard rencontre tous les jours de façon
accidentelle.
Le dessin,
par son caractère immédiat, est particulièrement fonctionnel dans ce processus.
C’est l’outil principal de cette exploration.
Françoise
Bridel – Je reconnais des plantes, des formes familières, un lien à la nature
évident...
M-D K –
Familières, voilà un mot qui m’intéresse. C’est un moment où je reconnais une
forme mais je ne peux pas définir ce que c’est. Je reste avant la
conceptualisation.
F B – La
conceptualisation ?
M-D K – La
définition de l’objet.
F B – La
définition de l’objet ?
M-D K -
C’est quand tu vois par exemple une forme, une structure, et que tu réalises
que c’est un oignon.
F B – Tu
crois que l’on ne peut pas toujours reconnaître les formes dans tes dessins ?
M-D K – On
peut parfois reconnaître l’objet, quand je vais jusqu’à la représentation de ce
que l’on pense être les limites visuelles de l’objet. Mais le plus souvent, ça
reste avant, au niveau de la sensation. C’est un mouvement, un passage répété,
de la sensation au sens. J’essaie de prendre conscience des étapes de la
perception visuelle, et de rester le plus longtemps possible dans la première
perception. Il y a parfois un mouvement de va et vient entre la sensation et la
représentation. Il en résulte une image qui suggère un espace ou un temps entre
le connu et l’inconnu, image sur laquelle on projette sa propre expérience
visuelle, sa mémoire, ses associations.
F B – Mais
ces dessins, c’est encore autre chose !
M-D K –
Quand je me promène, que je regarde un tronc d’arbre, je m’intéresse d’abord à
la structure de l’écorce. Je retrouve ce processus d’exploration dans le
travail avec la matière. J’utilise de l’encre de taille douce, qui est une
encre de gravure. C’est une encre très tendre, dense, d’un noir profond,
intense.
J’utilise du
papier de calligraphie japonais qui absorbe très bien l’encre. J’expérimente la
température, l’épaisseur de la couche d’encre, la pression du papier. La
technique est celle du monotype, appelée ainsi parce qu’il en résulte un seul
exemplaire. J’encre une plaque de verre et puis je dépose très délicatement une
feuille de papier sur le verre encré et je dessine sur l’envers du papier, puis
je le retourne. Le résultat aléatoire est souvent surprenant, parfois décevant.
Quelle partie de l’encre le papier va-t-il absorber ? La qualité de
l’encre fait la densité du noir mais c’est le dessin qui va déterminer la
facture du monotype.
F B – Les
formats : il y a des carrés et des formats allongées que tu appelles les
rouleaux…
M-D K – Les
carrés sont produits en grande quantité, ils me permettent de vivre de façon
répétée le processus de découverte d’un objet. Juxtaposés, ils expriment la
diversité des formes perçues. Le rouleau induit davantage une exploration de
l’espace. Il y a la sensation du mouvement, c’est fluide. Les traits, les
vides, les pleins se regroupent ou se séparent et créent des rythmes et des
coupures, des césures et des syncopes.
F B – Là je
vois des feuilles…
M-D K - Ce
sont des graines !
F B – Là,
une salade et un buisson…
M-D K –
C’est une rose, et ce sont des poils ! Je me donne beaucoup de liberté
dans l’espace de ma feuille de papier. Je ne suis pas dans la représentation,
mais dans l’exploration des structures, des lignes. Parfois, je dessine d’après
des photos : des tiges avec des poils me font penser à des poils du corps
humain. Je sors alors de la représentation de l’objet pour entrer dans les
sensations de l’objet, dans les projections de mes images intérieures. Je n’ai
pas de restrictions : ça reste des sensations organiques. Je regarde des
photos de plantes ou de cortps prises au microscope, ces formes sont porteuses
de la même sensation organique que si je vois une chaîne de montagne ou
l’intérieur d’un fruit.
F B –
Dessines-tu aussi d’après de vraies montagnes ? ou de vrais fruits ?
M-D K – Oui,
par exemple les Gastlosen, depuis Charmey… l’intérieur d’une grenade ou d’une
orange, les graines de pamplemousse ou de cardamome.
F B – Et ça,
c’est quoi ?
M-D K – Un oignon
coupé en deux. L’envie de dessiner me vient aussi en faisant la cuisine, les
formes des légumes me fascinent. Faire la cuisine est avant tout pour moi un
plaisir visuel. Je coupe les légumes et en garde un morceau pour le dessiner.
Une recherche ordinaire qui part, par exemple, de la nourriture de tous les
jours. Arbre, herbe, poil, ces formes sont propres à la manière dont les choses
se développent, se transforment, et plus je dessine ces formes, plus j’en
découvre de nouvelles.
27 décembre
2004
…. Au lieu
d’une vision à l’exclusion des autres, j’eusse voulu dessiner les moments qui
bout à bout font la vie, donner à voir la phrase intérieure, la phrase sans
mots, corde qui indéfiniment se déroule sinueuse, et, dans l’intime, accompagne
tout ce qui se présente du dehors comme du dedans.
Dessiner
l’écoulement du temps
Henri
Michaux, L’espace du dedans, Gallimard, 1966
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